Le siège du Parlement européen n’est pas à Bruxelles. Et alors ?
Le débat récurrent sur la localisation du siège du Parlement européen ressurgit avec les votes récents des députés, demandant à décider eux-mêmes du siège et des lieux de travail en s’inscrivant dans la perspective d’un « siège unique », notamment pour réaliser des économies. Quels sont les arguments en présence ?
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Un élément de consensus : Strasbourg est une capitale européenne. Personne ne le conteste, y compris les plus fervents défenseurs d’une concentration des institutions à Bruxelles. Strasbourg est une capitale européenne pour toutes les raisons bien connues, en Europe et dans le monde : siège des actes fondateurs de l’Europe, berceau de l’Europe parlementaire depuis 1949 (Assemblée Conseil de l’Europe puis Parlement européen), légitimité historique, symbole de la réconciliation du continent, etc.
La ville de Strasbourg n’est pas seulement une capitale européenne décrétée par les traités. Elle est pleinement légitime et les traités ne font que le confirmer.
Les divergences. Que disent les partisans d’une concentration à Bruxelles de toutes les institutions européennes, en particulier du Parlement européen ?
- Leur premier et principal argument serait celui des coûts. Les opposants à Strasbourg prétendent que le siège de Strasbourg coûte cher, en termes financier et environnemental, en avançant un coût entre 160 et plus de 200 millions d’euros et une empreinte carbone de près de 20 00 tonnes de CO² par an, sur la base d’estimations tronquées et d’extrapolations datant de 2002.
Pour rétablir la vérité des chiffres, l’AEJE s’est livré à une étude publiée en février dernier (voir rapport « le siège dans tous ses Etats ») montrant, sur la base des documents budgétaires publiés par le Parlement européen que le coût annuel du siège est en fait quatre fois inférieur, 51,5 millions d’euros qui se répartissent entre 18 millions par an pour les 12 sessions (1,5 million par session) et 33,5 millions pour les infrastructures.
Le coût de la démocratie parlementaire représente ainsi 10 cents d’euro par citoyen et par an.
Ces opposants à Strasbourg prétendent que la centralisation permettrait des économies. Il leur a fallu pour cela multiplier par quatre les coûts réels pour tenter de convaincre ! Cela laisse malgré tout perplexe.
Quels seraient les coûts d’un tel transfert (déménagement, réinstallation, investissements, transferts des familles) ? Quels seraient les coûts fixes permanents : le Parlement européen étant propriétaire du siège de Strasbourg, cesserait-il pour autant d’entretenir les bâtiments (33,5 millions d’euros en 2011) ?
Enfin, peut-on réduire l’activité parlementaire à une stricte problématique budgétaire ?
De même, s’agissant du prétendu « coût environnemental », les bâtiments du siège de Strasbourg sont un modèle en termes écologiques parmi l’ensemble des implantations européennes : l’empreinte environnemental est de 4 200 tonnes de CO² par an, comme en atteste la « déclaration environnementale du Parlement européen », document officiel publié en mai 2011, soit près de cinq fois moins que les estimations fantaisistes des opposants à Strasbourg. Pourquoi recourir à de telles manipulations de chiffres alors qu’ils prétendent leur cause légitime ?
- Un deuxième argument résiderait dans les «désagréments» causés par les déplacements à Strasbourg. Est-ce vraiment pertinent s’agissant d’élus de tous les citoyens européens, dont la vocation –le devoir- est de circuler sur tous le territoire de l’Union ? C’est d’ailleurs leur pratique permanente, non seulement entre Strasbourg et Bruxelles, mais également entre toutes les autres capitales et à l’intérieur de leur pays d’origine. De la même façon, si les députés européens étaient gênés par ces déplacements à Strasbourg, comment expliquer leurs fréquents autres déplacements –volontaires- dans tous les pays européens pour tenir des réunions de commissions parlementaires ou de leur groupe politique ?
Il en va de même pour les fonctionnaires européens qui se rendent à Strasbourg, agents du Parlement mais aussi de la Commission européenne ou du Conseil qui sont, par nature, soumis à une mobilité régulière. Voudrait-on aussi progressivement, sous cet argument, remettre en cause les nombreuses réunions des Etats membres (ministres, diplomates, experts) qui se tiennent dans les Etats, notamment à l’occasion des présidences du Conseil, et auxquelles ces mêmes fonctionnaires sont invités ?
- Un troisième argument serait l’inefficacité du Parlement européen : celui-ci fonctionnerait moins bien avec son siège à Strasbourg plutôt qu’à Bruxelles. Affirmation paradoxale alors que l’influence et les pouvoirs du Parlement européen n’ont jamais été aussi visibles et effectifs, que les députés européens font entendre leur voix, modifient de façon substantielle des propositions législatives de la Commission, s’opposent avec succès aux Etats membres et ont une influence croissante sur l’agenda européen. Tout cela avec un siège à Strasbourg, éloigné de l’autre capitale qu’est Bruxelles, de ce que les citoyens perçoivent comme la « bulle bureaucratique européenne ». Par ailleurs, nombre d’acteurs soulèvent les nombreux problèmes rencontrés à Bruxelles, au titre de l’insécurité ou des défaillances de la ville, en opposition avec Strasbourg.
C’est pourquoi nous retournons cet argument en affirmant que le siège de Strasbourg a fait ses preuves en offrant au Parlement les meilleures conditions d’exercice de ses pouvoirs et de son indépendance, qui contribuent à son succès.
Il ne faut toutefois pas ignorer le mécontentement exprimé par les députés, qui traduisent les reproches régulièrement adressés à Strasbourg, en termes d’accessibilité, d’hébergement et de conditions matérielles de travail. Ces problèmes sont tout particulièrement ressentis, notamment pour des raisons économiques, par les attachés parlementaires – qui d’ailleurs se montrent les plus critiques à l’égard de Strasbourg. C’est pourquoi notre rapport conclut sur la nécessité impérative d’améliorer la situation, à travers 22 recommandations que nous avons transmises aux responsables politiques nationaux et locaux. Il appartient à la France et à Strasbourg, en étroite collaboration avec l’administration du Parlement européen, de répondre à ces attentes pour que cette capitale européenne soit à la hauteur de ses ambitions légitimes.
En réaction à cette offensive anti-Strasbourg, certaines expressions locales appellent à un siège unique à Strasbourg. Ce n’est pas la position de l’AEJE.
Dans la situation actuelle, nous sommes partisans d’une part du respect des traités, issus d’un fragile équilibre ente Etats membres qui en ont décidé à l’unanimité, d’autre part de l’amélioration de l’environnement du siège du Parlement. Demander la réouverture des traités sur ce point, comme le souhaite certains, reviendrait à demander aux Etats membres de rediscuter le lieu d’implantation de l’ensemble des institutions européennes, processus qui s’annonce long, difficile, cher et source de dissensions importantes entre les Etats membres.
Quel serait le « coût politique » d’une telle opération ? Correspondrait-elle aux attentes des citoyens européens dans la situation actuelle ? L’Union européenne, nos gouvernements et nos députés n’ont-ils pas mieux à faire durant cette période ?
Nous présentons en détail l’ensemble de ces arguments dans notre rapport « Le siège dans tous ses Etats ».
Collectif AEJE